lundi 13 octobre 2014

Bénin, le berceau du vaudou

The spirit of power and virility, by Erik Cleves Kristensen via Flickr CC
The spirit of power and virility, by Erik Cleves Kristensen via Flickr CC

Bénin, le berceau du vaudou

L’animisme est la première religion au Bénin. Et la mieux partagée quand on sait que, quelle que soit la religion importée qu’ils pratiquent, les Béninois restent en majorité attachés au vaudou.

Lorsqu’on parle de religion au Bénin, les statistiques indiquent 27% de chrétiens, 22% de musulmans et 37% d’animistes. Mais en vérité, la religion animiste, qu’on l’appelle «vodou» ou «vodoun» au sud, et «serpent» ou «fétiche» au nord, est bien plus importante qu’on ne lui en donne.
L’animisme (les religions traditionnelles) est, de loin, la première religion du pays. Et la mieux partagée quand on sait que, quelle que soit la religion importée qu’ils pratiquent, les Béninois restent en majorité attachés au vaudou. Y compris ceux qui sont profondément imprégnés de la culture occidentale.

Une terminologie contestée

Le vodoun est né de la rencontre des cultes traditionnels des divinités Yorouba du Nigeria (Orisha) et des divinités Fon et Ewe, au moment où le royaume d’Abomey tentait de mettre Oyo et Abeokouta sous régence (entre les XVIIe et XVIIIe siècle). Il désigne aujourd’hui les cultes traditionnels du sud au sens strict du terme, et par extension toutes les religions traditionnelles du Bénin.
L’origine du mot vodoun prête encore à polémique à ce jour. Certains dignitaires Fon pensent qu’il proviendrait de «vo-bo-dou» qui signifie littéralement en langue Fon «se mettre à l’aise pour manger». Elle serait inspirée par l’idée de «l’esprit de partage avec les divinités». Mais cette explication ne fait pas l’unanimité —loin s’en faut.
L’appellation vodoun ou vodou adoptée par l’Etat en 1994 pour instituer la fête des religions traditionnelles le 10 janvier de chaque année, depuis la fin du parti unique et du marxisme-léninisme en 1990, n’est qu’une question de commodité. Une façon d’utiliser une sorte de label déjà bien connu à travers le monde, mais qui englobe toutes les religions traditionnelles du Bénin.
Une dénomination commune qui a suscité de vives dissensions à l’époque, au sein de la Communauté nationale du culte vodoun du Bénin (CNCVB), entre les représentants du sud menés par feu Sossa Guèdèhounguè et ceux du nord par feu Sa Majesté Orou Douarou Bambérémou. En effet, ces derniers ne se reconnaissaient pas dans cette terminologie —d’autant plus qu’entre le nord et le sud, les cultes ne sont pas les mêmes, au-delà de l’esprit de la pratique. Le débat est donc loin d’être achevé à ce sujet.

Une religion qui résiste à tout, même à la révolution

Sous le régime révolutionnaire qui a duré 17 ans, le vaudou a été traité de tous les noms: «obscurantisme», «pratique rétrograde», «fétichisme», etc. Cela n’a pas pour autant empêché les dépositaires du culte vaudou de continuer à pratiquer leur religion comme si de rien n’était.
Un chef religieux du nord du pays, défiant les marxistes-léninistes de l’époque, est allé jusqu’à dire, non sans humour, que «depuis que le monde existe, on n’a jamais vu les bouses de vache se transformer en vache». Comme pour leur dire que la révolution ne pouvait pas empêcher les gens de pratiquer leur religion.
Il aura fallu la Conférence nationale souveraine de février 1990pour redonner au vaudou ses lettres de noblesse. Et c’est le président Nicéphore Soglo, chrétien bon teint qui, en son temps, concéda ce droit aux adeptes des religions traditionnelles.
Depuis, le vaudou est une religion au même titre que l’islam et le christianisme. Mieux, elle connaît un engouement et une expansion certains. «Je suis sincèrement chrétien, mais cela ne m’empêche pas d’être attaché à la religion de mes ancêtres, le vaudou. Pour moi, cela n’est pas incompatible», confie un maître catéchiste.

L’origine du vaudou

Le vaudou, à l’origine, n’a rien à voir avec la sorcellerie ou la magie noire. Dans la cosmogonie de l’aire culturelle Adja-Tado au sud (Adja, Fon, Goun Ewe…), c’est une pratique religieuse qui consiste au culte d’un Dieu créateur (Mahou) au-dessous duquel se trouvent d’autres dieux inférieurs (Sakpata: dieu de la variole; Ogoun: dieu du fer; Mami Wata: déesse de l’eau, etc.) qui servent d’intercesseurs à l’homme pour atteindre Dieu tout-puissant.
Dans la cosmogonie de l’aire culturelle Gour au nord (Natemba, Bètammaribè, Gourmantché…), à la notable différence du sud les intercesseurs sont plutôt les ancêtres ou les morts —qui ne sont jamais tout à fait morts. D’autant plus que pour cette société, ce qu’on appelle la mort n’est que la séparation du corps et de l’âme de l’homme. Le corps étant matériel et l’âme immatérielle, l’âme reste donc éternelle. Ce qui revient à dire qu’elle s’inscrit, quelque part, en droite ligne dans la philosophie de la transcendance.

Des morts bien vivants et bienveillants

Les ancêtres qui sont morts et leurs descendants qui vivent constituent ainsi deux mondes qui s’interpénètrent. Les morts ne sont pas morts, comme disait le poète Birago Diop. Ils sont régulièrement sollicités par les vivants quand quelque chose ne va pas ou quand il faut implorer Dieu. Tout en étant dans l’au-delà, ils continuent de régenter la vie sur terre et de veiller au respect des us et coutumes. C’est pour cela que, de temps à autre, on leur fait des offrandes.
Des morts auxquels on reste attachés jusqu’au moment où l’on va les rejoindre dans l’au-delà et au royaume de Dieu. En somme, le vaudou est l’ensemble des forces invisibles ou surnaturelles et les procédés qui permettent de communiquer et de rester en harmonie avec elles.

Une culture nécessaire

C’est cette religion qui, à l’époque, a permis aux esclaves de garder non seulement espoir, mais aussi contact avec leur terre natale. La force de croire en Dieu et en la protection de celui-ci a aidé les uns et les autres à supporter les conditions inhumaines et l’éloignement qui étaient les leurs. Transmise de génération en génération, on retrouve encore actuellement cette pratique dans de nombreux pays d’Amérique latine, où elle s’est enracinée au fil des âges.
Il convient cependant de faire une différence entre les différents cultes vaudou. Si à Cuba, Haïti et dans les Antilles on retrouve le vaudou venu tout droit du Bénin, au Brésil on pratique celui du Nigeria. Pour le Père Michel Dujarier, qui a vécu 33 ans au sud du Bénin:
«Le Vodun est encore bien vivace dans ses pratiques et surtout dans sa mentalité profonde, et se manifeste dans le quotidien, surtout lors des difficultés, même parfois chez ceux qui, sincèrement, ont adhéré au christianisme.»
Pas étonnant donc, que le syncrétisme religieux soit monnaie courante dans les pays de tradition vaudoue. Que l’on soit chrétien ou musulman, on est quelque part tout aussi à l’aise dans un temple vaudou. Pour Dujarier:
«C’est le problème d'une culture qui porte une vision profonde de la vie et qui demeure inconsciemment en concurrence avec une seconde vision, celle du monde moderne. Or elle réapparaît toujours comme nécessaire, celle à laquelle on recourt, lors d’événements importants. La destruction actuelle de cette vision risque d’être catastrophique surtout si rien d'autre ne restructure.»
Le Bénin est incontestablement le berceau du vaudou. Et le vaudou qui a résisté à l’esclavage oppose aussi la même force au modernisme. Après les querelles de leadership entre les deux chefs vaudou Adja et Fon Sossa Guèdèhounguè et Daagbo Hounon, et les clivages nord-sud qui ont agité la CNCVB, elle semble avoir retrouvé une certaine cohésion.
Comme quoi, les religions traditionnelles ont encore de beaux jours devant elles au Bénin —en dépit de l’implantation de l’islam et du christianisme depuis des siècles. Et ce ne sont pas les nouvelles sectes qui poussent tous azimuts comme des champignons qui vont les ébranler outre mesure.
Marcus Boni Teiga
Ancien directeur de l'hebdomadaire Le Bénin Aujourd'hui, Marcus Boni Teiga a été grand reporter à La Gazette du Golfe à Cotonou et travaille actuellement en freelance. Il a publié de nombreux ouvrages. Il est co-auteur du blog Echos du Bénin sur Slate Afrique.

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